Ma démarche de création

 Il y a cette urgence, se lever pour, se chausser souple, condenser cette énergie de l’instant. On entre dans la peinture comme on entre en soi. On se retrouve sur le seuil, à chaque fois, dans le plaisir de ce qui viendra. C’est de cette nécessité que vient ma pratique artistique et également, de ce qui me constitue profondément en tant que femme, en tant qu’être au monde. C’est ma propre sensibilité, mon propre rapport à la féminité que je déploie et questionne. Je veux rendre un hommage fort à toutes les femmes, à celles qui ont façonné notre identité, notre regard et à celles que nous portons en nous.

Ma pratique est avant tout picturale et fonctionne par séries : Ces instants vulnérables (2016) constitue une série de portraits d’amitiés anciennes et profondes. Aussi, je continue depuis plusieurs années certaines séries : Les Endormies (depuis 2014), Les Eveillées (depuis 2019), Les Histoires de femmes (depuis 2020). Au fur et à mesure, grandit en moi ce besoin d’espace et d’explorer une pratique du monumental avec, par exemple, un polyptyque de 9m x 180 cm (2020).

La danse en est un parallèle avec une création collective Pour le meilleur (2017 – 2019)sur le « travail de la femme » et Danser la peinture (2020), création personnelle : une manière de traduire en danse et avec mon propre corps la façon dont je peins. Ponctuellement, j’aime aussi aborder cette thématique du féminin à travers l’écriture selon des projets précis, Le volume (avec des réalisations comme des paravents (2017) ou la série Les désirs portés (2020), robe en céramique ou en plâtre comme autant de manières rêvées de se vêtir ou d’habiter son propre corps. Par ailleurs, le dessin intervient assez fréquemment dans ma pratique : les séries Les déroulés de soi (2020 -2022) et Les portraits retournés (2020) sont nées de cette envie de tracer sur des supports : les uns, des rouleaux, rapportés du Vietnam et les autres, en os de chameau, rapportés d’Inde. Les voix (2020) rassemblent des petits portraits revisités de suffragettes. Elle prolonge la série Les anonymes-Les Abimées (2016), portraits de femmes souvent prostituées du 19ème siècle, un hommage que je rends à ces femmes qui ont osé dire, à celle de courage que la mémoire historique se doit de faire revivre. Les images manquantes (2016) d’après d’anciennes gravures érotiques et Le jeu des dames (jeu d’échecs en résine, verre et papier, 2016) questionnent cette limite subjective de l’érotisme dans l’image. Enfin, Ce qui nous colle à la peau (2016) est un petit travail de représentation de peau tatouée comme on inscrit un monde ou un récit sur son propre corps.

Du corps, de la mémoire du corps, du corps avant la pensée, du corps en strates se dépose sur la toile comme si une partie de soi ne renonçait pas à cette part d’animalité, à cette présence instinctive, dans l’évidence et à ce qui s’oublie, pour donner de soi. Se forme alors un monde des possibles qui relie un paysage, un animal, un végétal et des corps qui se dérobent dans le motif jusqu’à s’y perdre. La peinture montre ce qu’elle cache. Peindre est un jeu d’imagination, de rebonds et de glissements. Une ligne court dans la matière. Je puise, Je puise en moi, j’arpente la découverte de mes mains. Je tourne autour de la toile sous le soleil comme on danse. Je cherche, le bon geste, du rythme, des rapports chromatiques qui me surprennent. J’épuise, j’efface, je décolle, déplace, renverse, trempe, chiffonne, chauffe, repeins, je tente jusqu’à m’éloigner un peu plus encore pour y trouver ce qui doit être.
Une mise à nue.
Peindre vrai, être près, être peau, entre soi et le monde, dans l’intime rapport, voilà la traversée de la peinture. Laisser les élans, les forces, les hésitations, les fragilités comme autant de degrés de présence possible de l’être, de costumes des jours. Etre-là sans être là. Dormir, rêver, produire des images, peindre. Si le peintre est un passeur d’émotions, c’est aussi pour offrir un temps à se reposer, à rêver, à s’échapper. On rêve comme on produit des images dans ce grand lit qu’est le monde, en chacun de nous. Dans De l’intime en 2014, François Jullien disait : « L’intime, on ne se songe pas à en parler ». Or, c’est, je crois, le lieu de la peinture, celui des émotions et des histoires que l’on se raconte dans la grande Histoire, le lieu de la dentelle des plis, de l’indicible et des désirs, celui où l’on plonge, la poésie salvatrice du monde.

Reprise de Voix secrète de peintre, Florence DUSSUYER, 2022


Autour de l’écriture

  • Livre d’artistes : Cinq ombres décousues, Martin Laquet (Poésie) – Florence Dussuyer (visuel), 2015
  • A-Over https://peggyviallat.wixsite.com/editionsaover
  • Texte : Elle et d’autres : Florence Dussuyer pour une lecture au MUSEE DE LA MINE, Saint Etienne 2019
  • Texte : Quand les saisons reviennent, Le bonheur, Ed Chèvre-feuille étoilée, 2019
  • Texte : A propos d’elle, catalogue d’exposition au Centre d’Art de la Matmut -Daniel Havis, Ed Snoeck, 2020